Et si les anguilles ne naissaient pas près des Bermudes ?
Ce n’est pas un pavé dans la mare, plutôt un caillou dans l’océan. Pourtant l’article que publie, mardi 6 octobre, dans la revue Scientific Reports, une équipe franco-japonaise pourrait déclencher un tsunami chez les biologistes marins, et plus largement chez les amateurs de mystères irrésolus de la nature. Quatre chercheurs proposent en effet de déplacer la zone principale de ponte des anguilles européennes et américaines de quelque 2 000 km. Le grand public n’y verra sans doute que broutilles de spécialistes. En réalité, cette affirmation est tout à la fois révolutionnaire et iconoclaste, remettant en question un postulat établi depuis un siècle par le père de la discipline, l’homme qui avait résolu une interrogation millénaire.
Depuis Aristote et Pline l’ancien, les savants s’interrogent sur le mode de reproduction des anguilles. Elles vivent en rivière, puis un jour – après cinq à quarante ans d’existence –, elles dévalent vers la mer et disparaissent jusqu’à ce que, des mois plus tard, des civelles, ces formes juvéniles du poisson, regagnent les côtes. Que se passe-t-il entre-temps ?
En 1912, après des années de campagnes, le Danois Johannes Schmidt découvrait des œufs et des larves dans la mer des Sargasses, près des Bermudes, à des milliers de kilomètres des côtes européennes. Les années passant, la science confirmera que les larves de la mer tropicale et les poissons de nos rivières relèvent bien de la même espèce. Elle lèvera le voile sur le cycle de vie de l’animal, ses métamorphoses, son incroyable résistance et ses capacités de nage hors du commun. Elle vérifiera qu’il peut s’orienter en suivant des odeurs, la lumière, ou le champ magnétique terrestre, laissant entrevoir la façon dont il pourrait atteindre sa zone de ponte. Mais jamais on ne retrouvera d’anguille adulte dans les fameuses Sargasses. Des scientifiques ont même équipé de balises plus de 700 anguilles prêtes à se reproduire et les ont relâchées sur toute la côte européenne. Aucune n’a dépassé les Açores.
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