Par Gabriel Blaise
Le Conseil international pour l’exploration de la mer a rendu en novembre 2021 un avis préconisant pour 2022 l’arrêt total des captures d’anguilles, quel que soit le stade et quel que soit le mode de pêche

L’avis est certes consultatif, mais pourrait faire l’effet d’un tremblement de terre dans le milieu de la pêche : le Conseil international pour l’exploration de la mer (Ciem), groupe scientifique spécialiste de l’exploitation des ressources halieutiques, a récemment mis à jour son avis relatif à l’anguille européenne.

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Jadis présente à foison sur le gave et sur toute la façade maritime, l’anguille se fait de plus en plus rare. Migradour, l’association en charge du suivi des poissons migrateurs, est aux premières loges pour observer le phénomène. Reportage lors d’une capture au barrage de Baigts-de-Béarn, près d’Orthez, troisième épisode de notre série le long du gave de Pau

Il est sans appel : devant la chute continue du nombre d’anguilles, le Ciem souhaite désormais pour 2022 l’arrêt total des captures d’anguilles, quel que soit le stade (adultes ou civelles) et quel que soit le mode de pêche.

Les chiffres sur la ressource en anguilles laissent peu de place au doute sur le risque que connaît l’espèce.
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Rapport CIEM/Repro SO

« Cela reste l’avis d’un comité, mais l’Union européenne est obligée d’y apporter une réponse », confie Guillaume Barranco, directeur de l’association Migradour, en charge du suivi des poissons migrateurs sur le bassin Adour-Garonne.

« Potentiellement, cela veut dire plus aucune pêche d’anguille et de civelles… Cela nous pendait au nez depuis dix ans. Les pêcheurs professionnels ont été un peu sauvés jusqu’ici avec les quotas de pêche autorisée dont une partie doit servir au repeuplement. Mais cette fois, on voit que la ressource n’évolue pas. Cela va même plus loin : les scientifiques considèrent qu’au mieux, cette politique ne sert à rien… » Et qu’au pire, elle aggrave la situation de l’espèce, dont on sait qu’elle fait l’objet de nombreux trafics, puisqu’elle peut être revendue à prix d’or, en particulier en Chine.

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Reste à savoir comment les pays de l’Union européenne, qui viennent d’approuver les quotas de pêche pour l’ensemble des espèces pour 2022 - et sont toujours en tractations avec le Royaume-Uni - vont réagir à cette expertise sans équivoque.

Déjà trop tard ?

« L’avis est clair, c’est zéro capture, explique Guillaume Barranco. L’Europe peut très bien dire “on continue, en limite encore les quotas”. Mais les associations de défense de l’environnement vont forcément se charger de poursuivre en justice. »

Dès lors, cet avis est-il une bonne nouvelle pour la survie de l’anguille ? « La question c’est surtout “Est-ce qu’il n’est pas déjà trop tard ?»

Guillaume Barranco (à gauche), lors d’une opération de comptage des anguilles par l’association Migradour, à Baigts-de-Béarn, à l’été 2021.
Guillaume Barranco (à gauche), lors d’une opération de comptage des anguilles par l’association Migradour, à Baigts-de-Béarn, à l’été 2021.
David LE DEODIC/”SUD OUEST”